Poème

Kleenex


Un jour nous fûmes l'un devant l'autre :

ce fut un grand serment

d'amour, d'éternité.

Nous rions étonnés

qu'il en soit autrement.

Sincères sans aucun doute

étions-nous. Les dieux

riaient à qui mieux mieux ?

Il en tombait des gouttes :

je sortis des Kleenex 


Nous avons vécu neuf années côte à côte.

Années passant, doit-on

regarder en arrière,

remuer la poussière,

et rejeter le bon ?

Les épreuves ont coulé

comme autant de cascades

Certes j'étais malade

et dur à supporter.

Toi aussi, le sais-tu, mon ex ?

Tu as choisi de déployer tes ailes.

Quinze ans d'écart! C'est dit.

Emporte tout, la fille,

La maison, la famille.

Pour combler ce gâchis

dont je suis le fantoche,

et quant aux souvenirs,

s'ils viennent à venir,

vite, au fond de ta poche,

couvres-les d'un Kleenex.


Las, me l’a t-on assez dit, 

je l’ai bien mérité.

Mais aussi quelle idée,

d’oser changer de vie

avec des souvenirs

qui s’accrochent à vous

comme à un poil un pou

pour mieux vous retenir ?

Et quand de notre histoire

tu auras fait la tienne,


que tu m’auras laissé

sur mon dos que ma veste

de sorte qu’il ne reste

que mes yeux pour pleurer,

que je serai ton ex ?

qu’une boule froissée

qu’un chiffon de papier

jeté comme un Kleenex,


je rêverai longtemps des nuits

où nous dormions enlacés,

immobiles, extasiés,

un seul corps uni.

Désormais seul épris

je reste abandonné

sans pouvoir détremper

de mes larmes taries

la feuille d’un Kleenex


Bruno Pinel, 2005

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